Clement “Coxsone” Dodd est mort…

Le fondateur du mythique studio et label jamaïcain Studio One s’est éteint le 5 mai dernier à l’âge de 72 ans.

Il aurait été victime d’une crise cardiaque alors même qu’il travaillait dans son studio avec l’ex-leader des Chosen Few, Bunny Brown, et Jennifer Lara.

Ironie du sort, ce tragique accident est intervenu quatre jours seulement après que les autorités de Kington aient décidé de renommer la rue Brentford Road, où était situé son studio, en Studio One Boulevard.

C’est une immense perte pour la musique jamaïcaine. Même si certains artistes qui sont passés dans son studio depuis 40 ans se sont plaint de problèmes financiers avec Coxsone, il est indéniable qu’il a été la pierre angulaire de tous les sons qui ont parcouru la Jamaïque, puis le monde entier : calypso, ska, rock steady, reggae, dub…

Vétéran d’une époque fondatrice, Coxsone restera sans nul doute comme le producteur qui amorça les carrières les plus prestigieuses : Bob Marley, Peter Tosh, Ken Boothe, Jackie Mittoo, Alton Ellis…

Homme de l’ombre, homme d’argent, homme de génie, c’est un peu tout cela à la fois…Il nous manque déjà à tous….

Plus d’infos : article du Jamaican Observer et du Jamaica Gleaner

The Guitar & Gun – Highlife Music from Ghana (Earthworks/Sterns)

Parfois, on serait prêt à acheter certains disques uniquement pour leurs pochettes…et on les achète. « The Guitar and Gun » fait partie de ceux-là. La photo en couverture est tellement symbolique qu’elle vaut toutes les notes contenues dans le livret, au demeurant très exhaustif : un soldat en tenue règlementaire (casque lourd et treillis) empoignant sa guitare, tout en gardant à portée de main sa kalachnikov…

Il faut dire qu’à l’époque où ces enregistrements ont été réalisés, entre 1981 et 1984, le Ghana vivait une période insurrectionnelle. Suite à un coup d’état de Jerry Rawlings en 1981, un série de mesures politiques plongèrent le pays dans une crise économique et sociale profonde. L’une d’entre elles consistait à instaurer un couvre-feu strict, empêchant toute vie nocturne et, par conséquent, tout concert.

Les Ghanéens se replièrent alors dans les églises, qui sponsorisaient de petits groupes de gospel et de high-life, pour exprimer leurs craintes mais aussi leur espoir d’une vie meilleure. D’autres structures, comme le Bakoor Studio à Accra, seul studio en activité dans le pays à cette époque, prirent le risque de continuer, malgré les conditions difficiles, la diffusion d’une production musicale prolifique.

Pour preuve, il suffit d’écouter la variété de styles présents sur cet album : gospel, high life culturel (guitare-chant-percussions), high life « festif » (cuivres-guitare-basse-batterie), etc…L’un des groupes qui synthétise le mieux tous ses aspects de la musique ghanéenne de l’époque est à mon sens le F. Kenya’s Guitar Band, qui, en l’espace de deux titres, atteint des sommets d’émotions et d’expression musicale.

Tout l’intérêt de cette compilation réside dans une réflexion menée sur les contraintes appliquées à la musique d’un pays : contrainte de temps (le début des années 80), contrainte d’espace (le Ghana, et plus particulièrement Accra) et contrainte politique (un régime dictatorial). Une preuve de plus que les contraintes accumulées ne peuvent jamais limiter l’expression d’un peuple.

                  

Couverture originale (LP – 1985)                Réédition (CD – 2003)

Silver Camel – Un label, une légende

Le terme underground est souvent galvaudé ou utilisé à des fins de marketing crapuleux. Mais il peut parfois prendre tout son sens, et c’est le cas avec le label Silver Camel.

Créé en Angleterre en 1977, après la fusion d’un sound system et d’un magasin de disques (Daddy Kool), il s’appuie sur une solide réputation, notamment auprès du public punk, qui est acquis à la cause du reggae. En faisant la promotion du producteur Phil Mathias et d’artistes comme Prince Far I, Jah Thomas ou Augustus Pablo, Silver Camel place rapidement ses disques dans les charts.

Mais le réel succès viendra à l’aube des années 80, avec les productions de légendes comme Alton Ellis et, de manière assez étonnante, d’albums dub de Ranking Dread et Al Campbell. A ce titre, les deux volumes des compilations-showcase « Roots Reggae Party » sont condensé parfait du style Silver Camel, marqué par des chansons oscillant entre 9 et 10 minutes, cumulant version vocal + dub + version dj + dj dub. Magnifique…

L’histoire du label se perd après dans les années 80 lorsque le son digital fait son entrée et relègue au second plan les productions plus roots. La publication en 2002 de l’album de Billy Boyo, enregistré en 1983 mais jamais sorti depuis, est l’occasion de reformer le label qui prend le nom de Silver Kamel Audio (SKA) et s’installe désormais aux Etats-Unis.

On ne peut rester qu’admiratifs devant une sélection artistique aussi pointue qu’éclectique (écoutez le « Daydreaming » d’Alton Ellis qui penche plus du côté soul que roots…) et c’est assurément ce qui fait la force de ce label, qui a su, en une poignée d’albums, réunir les meilleurs producteurs, chanteurs et musiciens. Ca donne de vrais moments de bonheur musical. Quand je vous disais underground…

Toute la discographie du label Silver Camel

Three the Hard Way – Scientist, Barnabas and Maxie (Silver Camel – 1981)

Attention, cultissime…Voici le premier LP sortie en 1981 sur le label Silver Camel, un sacré vivier pour toute une frange underground du reggae moderne (post 70’s) et un catalogue impressionnant de titres hallucinés et hallucinants. Mais j’aurai l’occasion de revenir sur ce label plus tard.

Cet album dub, enregistré, excusez du peu, à Studio One et au King Tubby’s studio, regroupe derrière les manettes deux ingénieurs du son de Channel One – Maximilian (ou Maxie) et Barnabas – ainsi que Scientist, l’élève surdoué de Tubby. Si vous ajoutez à cela un producteur qui a activement participé à l’émergence du son « dancehall » – Al Campbell -, vous avez un tableau qui commence à être sérieusement alléchant…

Mais ce n’est pas tout. A l’écoute de cette « dub conference » inédite, on est littéralement soufflé par la créativité et le génie des deux jeunes apprentis dub, Maxie et Barnabas, sur lesquels je n’aurais pas misé un kopec. Ils se surpassent et livrent même, sur certains titres, une véritable leçon de drum & bass, qui est pourtant la marque de fabrique du son Scientist.

Près de dix ans avant les balbutiements des membres de Massive Attack, on est là devant un album fondateur d’un son qui fournira les fondements de l’électro et du trip-hop. A écouter d’urgence pour ne pas oublier que la Jamaïque est le creuset des musiques urbaines actuelles.

Ghana Soundz (Soundway – 2002)

Première sortie d’un label anglais nouvellement créé (Soundway), « Ghana soundz » a tout pour attirer le regard dans les bacs. Une pochette incroyable mais également un sous titre alléchant : « ultra-rare and previously unreleased afro-beat, funk and fusion from 70’s Ghana ». Et là, on se met à rêver que, pourquoi pas, cette compilation de titres ghanéens des seventies exhumés par un jeune label anglais pourrait trancher un peu avec la médiocrité de certaines compilations afro-beat actuelles.

Eh bien oui. Et même plus encore, puisque sur les 14 titres réunis sur le CD, pas un seul n’est moyen, passable ou simplement « agréable à l’écoute ». Non, ce sont tous de purs condensés de rythmiques destructrices et de chants envoûtants. Vous n’avez jamais fréquenté un dancehall à Accra dans les 70’s ? Eh bien, écoutez ces titres, et vous jurerez que vous y êtes !

Car l’un des grands atouts de la compilation est de pouvoir proposer un son d’une qualité exceptionnelle. L’exploit est d’autant plus remarquable que Miles Cleret, l’anglais aux manettes de cette sélection, a sillonné le Ghana pendant près de deux ans pour retrouver des 45 tours et des LP dans d’antiques boutiques de disques. Je crois même qu’il a racheté les bandes d’un enregistrement introuvable dans le commerce, c’est dire si l’on peut parler de passion !

Cependant, après l’écoute de ces chansons, dont les titres resteront une énigme pour celui qui ne maîtrise pas bien encore le ghanéen (Hwehwe Mu Na Yi Wo Mpena), une question s’impose : pourquoi cette musique est-elle restée inaccessible pendant tant d’années ? Et, au-delà de ça, comment certains titres peuvent-ils paraître si modernes, alors qu’ils n’ont quasiment pas dépassé les frontières du pays ?