Wigan Casino, ou le Temple de la Soul

Dans l’histoire musicale contemporaine, le Casino Club de la petite ville anglaise de Wigan est, au même titre que les mythiques studios Stax ou Motown, l’un des piliers de la diffusion de la soul music.

Fondé en 1973 dans cette petite ville des Midlands, près de Liverpool, le Wigan Casino est rapidement devenu le temple de la Northern Soul, cette renaissance de la soul US des sixties au coeur des clubs du nord de l’Angleterre.

En effet, alors qu’aux Etats-Unis la soul passait progressivement la main au funk puis au disco dans les années 70, de nombreux fans anglais ont prolongé la flamme de la soul grâce à un réseau de club, parmi lesquels le Torch Club, le Blackpool Mecca et, bien entendu, le plus fameux d’entre eux : le Wigan Casino.

Le terme de « temple de la soul » n’est pas excessif, car, au cours des fameuses soirées « Saturday Allnighters », plus de 2.000 personnes se pressaient sur la piste, dans une ambiance enflammée où se succédaient les références aux groupes les plus obscurs, mais aussi les plus groovy de la soul US.

Même si le club a été obligé de fermer en 1981, et alors que le bâtiment a été ravagé par le feu une année plus tard, le réseau de fans qui a contribué à son succès pendant près de 10 ans continue à faire vivre le souvenir de cette époque glorieuse. Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter les résultats d’une recherche sur Google.

A écouter dans la Chongastyle’s Radio : Paris Blues de Tony Middleton et They’ll Never Know Why de Freddie Chavez.

wigansmall_wigancasino_soul

“Si les Iraniens écoutaient plus de reggae, on ne serait pas au bord d’une crise nucléaire” Anonyme

Down in Iran
Stop the war down there

Down in Iran
You’re ruining the atmosphere

Nuclear weapons
Guns and ammunitions

Down in Iran
Stop the war down there

L’actualité de ce titre de Wayne Wade, sorti en 1982 sur son album « Poor & Humble » est étonnante. Ecrit initialement comme un brulôt contre la guerre Iran-Irak, qui, de 1980 à 1988 a causé la mort de près d’un million de personnes, elle reprend un sens aïgu dans le contexte actuel de crise internationale avec Téhéran.

Mention spéciale pour la production et le petit break de batterie qui prend toute sa mesure avec la version dub.

Ecoutez et réécoutez ce titre en version 12 inch grâce à la Chongastyle’s Radio.

wade1wade21

Black Roots – Black Roots (Kick Records – 1983)

En l’espace d’une décennie, Black Roots est devenu l’une des figures les plus en vue de la scène reggae britannique. Ce succès est d’autant plus mérité qu’il a été forgé sur des fondations solides, en l’occurence ce premier album éponyme qui imposa le nom des Black Roots à double titre.

Tout d’abord, car la qualité sonore et rythmique de ce disque a fait rentrer la scène reggae britannique dans la cour des grands. Certes, de nombreux groupes de reggae se produisaient en Angleterre avant les Black Roots (Matumbi, Dennis Bovell, etc…) mais ce furent l’un des rares groupes à percer en moins de 4 ans. Formés en 1979 à Bristol (future patrie de Tricky et Portishead), ils explosèrent en 1982 lors d’une des fameuses sessions de John Peel. Et leur premier album sorti un an plus tard imposa un niveau d’exigence et de qualité exceptionnel : sur les 8 titres, aucun ne montre de signe de faiblesse.

Ensuite, parce qu’en 1983 le reggae roots avait beaucoup de mal à tenir le haut de l’affiche face à la déferlante du deejay style et surtout des premiers rythmes digitaux, préfigurant le dancehall. Cet album est une véritable leçon de roots puissant, pacifique et conscious. Il suffit, pour s’en convaincre, de lister les thèmes abordés : « Juvenile Delinquent », « The Father », « Africa », « Tribal War » etc…

Les Black Roots ont réussi à prolonger cette flamme roots tout au long de leur discographie qui compte près de 10 albums et autant de singles classés dans les charts. Leur séparation au milieu des années 90 engendra une descendance fertile, par le biais notamment de leur leader Delroy O’Gilvie et de son groupe One Drop, puis Justice Crew. Une reformation du groupe initial semble d’ailleurs être toujours d’actualité…

A écouter dans la Chongastyle’s Radio : Juvenile Delinquent et Tribal War

blackrootsbroots21

Colonel Bagshot – Six Day War (Cadet – 1971)

Aux premières mesures de ce titre, les fans auront reconnu le magnifique sample utilisé par DJ Shadow pour l’un des titres de son dernier album « The Private Press ». Si l’histoire du groupe qui a produit le morceau original est étonnante, ce qui l’est encore plus c’est l’étrange actualité des paroles.

Colonel Bagshot est un groupe de rock psyché relativement obscur, comme il en a existé beaucoup dans les 70’s. Mais ils ont tout de même enregistré leur unique album pour Cadet, la branche rock du prestigieux label chicagoan Chess Records, qui a produit entre autres célébrités Muddy Waters et John Lee Hooker.

Largement inspiré des évènements qui opposèrent Palestiniens et Israéliens en 1967 , la « guerre des 6 jours », ce titre est d’un calme presque suspect, qui tranche paradoxalement avec le thème choisi et des paroles hantées, mais ô combien superbes.

Le choix de ce sample précis par DJ Shadow est loin d’être innocent, d’autant plus qu’il est quelqu’un de relativement discret, voire timide. Ne chantant pas, il exprime par ces paroles sa vision du monde actuelle : une époque d’instabilité, où les frontières physiques et morales deviennent floues, mais surtout le retour de la guerre comme moyen de lutte contre le terrorisme après le 11 Septembre 2001. Comme le dit si bien la chanson : « You never thought we’d go to war after all the things we saw ».

At the starting of the week
At summit talks you’ll hear them speak
It’s only Monday
Negotiations breaking down
See those leaders start to frown
It’s sword and gun day

Tomorrow never comes until it’s too late

You could be sitting taking lunch
The news will hit you like a punch
It’s only Tuesday
You never thought we’d go to war
After all the things we saw
It’s April Fools’ day

Tomorrow never comes until it’s too late
Tomorrow never comes until it’s too late

You hear a whistling overhead
Are you alive or are you dead?
It’s only Thursday
You feel a shaking on the ground
A billion candles burn around
Is it your birthday?

Tomorrow never comes until it’s too late
Tomorrow never comes until it’s too late
Make tomorrow come I think it’s too late

PS : vous remarquerez la ressemblance entre le graphisme du label Cadet et celui utilisé par Shadow sur les compilations Brainfreeze et Product Placement…

bagshotlabelcolonelbagshot

Safe Travel – A Rares Side Of Rock Steady With Phil Pratt & Friends (Pressure Sounds – 2005)

En ce début d’année, que je vous souhaite à tous bonne et heureuse, mon choix pour la première chronique 2006 s’est porté naturellement vers une réédition exceptionnelle de rock steady, car rien n’égale la joie et le bonheur procurés par l’écoute de ce genre fondateur dans l’histoire de la musique jamaïcaine.

George Philips, qui deviendra plus tard Phil Pratt, a débuté sa carrière musicale comme porteur de boîtes de disques au sein du prestigieux sound system de Studio One, le Coxsone’s Downbeat. C’est alors qu’il fait la rencontre de Lee Perry, lui aussi petite main dans le sound system. Essuyant un refus de la part de Coxsone lors de la sortie de son tout premier titre (« Safe Travel »), Phil se tourne alors vers vers le producteur B.K. Kalnek, connu sous le surnom de Ken Lac.

Ce dernier lui laisse l’opportunité de réaliser plusieurs titres sur ses différents labels (Caltone, Sun Shot). Au regard du succès rencontré (dont le magnifique « Sweet Song For My Baby » en écoute dans la Chongastyle’s Radio), Phil devient vite un associé de Ken et produisent ensemble la crême du rock steady : Ken Boothe, John Holt, Pat Kelly, Horace Andy etc…

La renommée du duo de producteur s’amplifie entre 1971 et 1975, lorsque le roots et le deejay style explosent : U-Roy, I-Roy, Big Youth, Jah Woosh, Al Campbell, Bobby Kalphat et bien d’autres se succèdent dans leur studio. Mais il s’agit déjà d’une autre histoire…

Quoiqu’il en soit, la sortie par Pressure Sounds de ces titres rares du catalogue de Pratt nous rappelle que l’époque du rock steady a été une conjonction inédite de talents vocaux exceptionnels et de musiciens à leur plus haut niveau artistique. Cette rencontre au sommet ne s’est produite qu’une fois : c’était en Jamaïque et cela n’a duré que deux années (1966-1968)…

Je vous invite à découvrir cet excellent site consacré à l’oeuvre de Phil Pratt, et qui est également très réussi graphiquement, ce qui ne gâche rien !

A écouter dans la Chongastyle’s Radio : Reach Out et Sweet Song For My Baby de Phil Pratt.

safetravelwoman_pic