Bongo Flava – Swahili Rap From Tanzania (Outhere – 2004)

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Je croyais avoir trouvé le collector ultime, unique et rare : une compilation de hip hop tanzanien, rappé en swahili et diffusé via un label allemand… Je me suis rapidement ravisé quand je me suis rendu compte de l’impact de ce mouvement sur le continent africain, tant sur le plan musical que sur le plan social.

Le bongo flava désigne en fait une combinaison de beats hip hop inspirés des derniers titres US  diffusés sur les radios locales et du discours militant d’une génération post communiste qui n’a connu ni la décolonisation, ni l’époque glorieuse de l’indépendance. Attirée par les lumières de Dar es Salaam, mégalopole surpeuplée et marquée par les inégalités, cette
génération cultive un discours revendicatif fort dans un contexte social calamiteux : pauvreté, SIDA, famine, absence d’éducation,…

Le terme le plus approprié pour désigner le bongo flava est « phénomène de socété ». Propulsé par la conjonction de l’absence de projet de société et l’explosion des radios communautaires locales, le bongo flava est den effet devenu en quelques années le genre musical le plus vendu dans toute l’Afrique de l’Est. Et ce n’est qu’un début…

Car de nombreux artistes, tels les X-Plastaz, commencent à organiser des tournées hors d’Afrique. Le fait que cette compilation soit diffusée par un label européen confirme ce mouvement de diffusion tous azimuts. Certains esprits chagrins se moqueront des beats approximatifs, du flow artisanal. Mais au-delà de ces traits de jeunesse qui en font également toute la saveur, le bongo flava est le seul futur que l’on peut souhaiter au hip hop : un retour à des valeurs revendicatives, une force populaire et jeune. Et c’est un vrai bonheur que cette leçon de musique nous vienne d’Afrique…

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Free Jazz At Teheran

Toujours plus loin, plus rare et plus obscur…Après le Pérou et la Turquie et leurs scènes psyché des 70’s, direction la Perse et l’Iran pour découvrir des trésors perdus et totalement méconnus du jazz.

Je pourrais vous citer quelques noms de groupes ou d’artistesactifs dans cette région à la fin des années 60 – milieu des années 70, mais je ne suis pas sûr que cela vous aide beaucoup : Kourosh Yaghmaie, Revival, Mehrpouya, Lloyd Miller, etc…Je vous renvoie pour plus de détails à cet excellent site qui vous permettra notamment d’écouter certains extraits mémorables et « samplables » à souhait.

Entre influences extérieures (grooves funky, wah wah, orgues psychédéliques) et introspection culturelle, entre attirance pour l’occident (groupes rock) et attrait pour le continent indien et ses transes contemplatives, la Perse et l’Iran sont à l’époque à la confluence d’une multitude d’inspirations, ce qui en fait probablement un des terrains d’expérimentation sonique les plus fertiles.

On passe ainsi d’un riff funk à la Curtis Mayfield à de longues plages de corde mélancoliques qui porte une voix plaintive et poétique, en passant par des passages pop mélodiques, le tout en moins de 3 minutes ! A titre d’exemple, je vous conseille vivement d’écouter le titre Doe Pajereh / Ghabilehe Leili de Mehrpouya : c’est un véritable bonheur !

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Madlib, ou le hip-hop conjugué au futur antérieur

« Don’t forget the analog. You can move up, but don’t forget the essence » : voilà une citation qui aurait très bien pu devenir le sous-titre idéal de ce blog. Elle est le fruit de la réflexion de Madlib, fleuron du label Stones Throw Records et accessoirement grand réinventeur du hip-hop moderne.

Car Madlib est partout. Depuis dix ans, il a créé ou participé à tous les projets les plus novateurs de la scène hip-hop : Lootpack, Tha Alkaholiks, Quasimoto, Yesterdays New Quintet, Mad Villain, Peanut Butter Wolf, MF Doom…Il a également aidé beaucoup d’artistes ou de groupes d’horizons très différents : les Beastie Boys, Bilal, Zero 7, Jazzanova…

Mais l’apport le plus important de Madlib a été d’aider le hip-hop à se ressourcer aux sources même de son origine : la recherche de samples, beats et titres plus groovy et obscurs les uns que les autres. Car toute l’essence de ce mouvement tient justement au fait qu’il s’est construit par agrégation de fragments culturels qui sont venus s’enrichir les uns les autres : le jazz, le funk, le disco, le reggae, la musique brésilienne, la soul, le free jazz etc…

Ces styles, Madlib les connaît sur le bout des doigts. Notamment le jazz, grâce auquel il a pu sortir en 2000 l’incroyable Shades Of Blue sur le prestigieux label Blue Note, ce qui en soi est déjà une reconnaissance de fait de sa démarche. Le reggae a également profité de ses talents de mix, via son album Blunted In The Bomb Shelter Mix sorti en 2002. Et maintenant le funk, avec la parution début octobre du disque Sound Directions : The Funky Side of Life, où il s’essaye pour la première fois à l’exercice d’un album-hommage au funk des 70’s avec de vrais musiciens.

Car, et c’est peut être là son plus grand atout, Madlib est aussi un musicien. Même s’il maîtrise à merveille tout l’attirail technologique indispensable à tout bon DJ (Akaï MP 2000, Boss SP303), il reste profondément attaché à l’aspect organique et analogique de la musique : un vinyl, une pochette, des amplis et des cables à n’en plus finir…Tout ce qui fait le plaisir de l’écoute et la joie de la création.

Pour aller plus loin : une excellente interview accordée au magazine Scratch où l’on apprend tout sur son processus créatif. Passionnant.

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Impact All Stars : Forward The Bass – Dub From Randy’s 1972-1975 (Blood & Fire – 1998)

Toute l’essence du dub, du vrai, du lourd, du roots dans une compilation exceptionnelle du label Blood & Fire. Passé un peu inaperçu au sein des nombreuses sorties de ce label hautement recommandable, ce disque met à l’honneur les productions de Clive Chin et de son ingénieur du son Errol Thompson au studio Randy’s de 1972 à 1975.

Tout y est : du riff de guitare imparable de « Jaro » aux tambours nyahbinghi sur « Oh Jah Dub » en passant par le clavier groovy sur le décalé « Maro ». Au delà des basiques du dub (écho, basses lourdes), Chin et Thompson démontrent ici à la fois leur incroyable talent à la table de mixage mais également leur géniale intuition artistique. Les voix apparaissent et disparaissent en laissant la place à une ligne de basse dévastatrice, le tout entrecoupé de dialogues de studio pris sur le vif.

L’énergie créatrice du dub en Jamaïque n’était pas l’apanage des plus connus (Tubby, Studio One, Scientist) et preuve en est que, si beaucoup ont essayé, peu arrivent à la hauteur de ce que l’on peut écouter sur ce disque. Parmi les meilleurs titres de dub de tous les temps, tout simplement…

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Can’t Stop, Won’t Stop : A History of the Hip-Hop Generation (Jeff Chang – St Martin’s Press – 2005)

« Hip-hop is the voice of this generation. Even if you didn’t grow up in the Bronx in the ’70s, hip-hop is there for you. It has become a powerful force. Hip-hop binds all of these people, all of these nationalities, all over the world together. »
—DJ Kool Herc

Des livres sur le rap, il en sort des tonnes. Des livres sur le hip-hop comme grand courant fourre-tout, il en sort beaucoup également, la plupart faisant d’ailleurs un amalgame douteux entre rap et hip hop. Des livres qui traitent du quotidien de la génération hip hop, ces petits soldats qui agissent au niveau local et rivalisent d’ingéniosité dans les projets qu’ils montent pour leur communauté, il en existe déjà beaucoup moins.

Can’t Stop Won’t Stop: A History of the Hip-Hop Generation est un de ces livres. Ecrit par Jeff Chang, journaliste et activiste hip hop, mais également cofondateur de Solesides, le label qui découvrit (entre autres) DJ Shadow, Blackalicious et Lyrics Born, il a reçu l’American Book Award 2005 et a été unanimement salué par la critique comme l’un des récits les plus amibitieux et les plus aboutis sur le hip hop.

L’atout de ce livre est d’enraciner le mouvement hip hop non pas dans les débuts du rap, qui n’est après tout qu’une des formes d’expression du hip hop, mais dans les mouvements contestataires de la fin des années 60, notamment le mouvement afrocentriste, qui ont constitué le socle sur lequel s’est bâti la génération hip hop.

A une époque où certains se baladent en Cadillac et en yacht sur la côte d’azur (P. Daddy), et d’autres font appel aux plus bas instincts humains (le gangsta en général), ce livre rappelle que le hip hop était et reste avant tout un mouvement social et politique revendicatif.

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