Stones Throw Records, ou le hip-hop ressourcé par les crate-diggers

Lancé en 1996 par Chris Manak (alias Peanut Butter Wolf), le label Stones Throw Record privilégie depuis ses débuts les disques faits par des DJ et pour des DJ. Mais pas des DJ comme les autres : des « crate diggers », autrement dit des collectioneurs acharnés de vinyls et de samples prêts à courir la planète pour trouver le disque ultime. Cette communauté, dont les plus éminents représentants sont notamment DJ Shadow, Cut Chemist ou Madlib, est à l’origine des mouvements musicaux contemporains les plus novateurs.

Stones Throw est en fait une véritable galaxie d’artistes et a servi de catalyseur d’énergie pour nombre d’entre eux : Quasimoto, Captain Funkaho, Madvillain, Egon, Jaylib, Medaphoar, etc…Tous ont gravité à un moment ou un autre dans l’entourage de Chris Manak et ont apporté leur touche personnelle à ce label qui se distingue par sa qualité musicale irréprochable et un graphisme exceptionnel, faisant de chaque disque un véritable collector en puissance : tirage limité, pressage en 45 tours presque exclusivement, pochettes splendides.

Caractérisé par un son très artisanal (ici, pas de productions léchées style West Coast…), les multiples sources d’inspiration des artistes viennent percuter des beats poisseux et des samples improbables de films de série Z. On y croise du free jazz décomplexé, qui côtoie la funk la plus débridée (cf. l’étonnant compilation Funky 16 Corners, produite par Egon) et le reggae roots des 70’s.

L’un des artistes les plus prometteurs de tout cette joyeuse bande est Madlib. Fils d’un grand jazzman, Madlib est à la fois DJ, producteur, musicien et MC. Après avoir collaboré avec Lootpack et les Alkaholics, il a multiplié les projets sous différents pseudonymes (Quasimoto, Ahmad Miller, Dj Rels, The Loopdigga…) tout en continuant à jouer dans son groupe, Yesterday New Quintet, qui n’est pas sans rappeller la meilleure période de Stevie Wonder.

Fervent amateur d’ambiance jazzy, il s’est attaqué en 2000 à un album de remixes de titres du catalogue Blue Note : Shades of Blue. Reprenant à son compte le lourd héritage de Reuben Wilson, Herbie Hancock, Bobby Hutcherson ou encore Donald Byrd, Madlib délivre dans ce disque un des rares disques de fusion entre jazz et hip hop qui ancre définitivement cette musique urbaine dans la longue lignée de la black music.

Au final, Stones Throw a permis au hip hop, en une quinzaine d’années d’activisme tous azimuts, de retrouver un second souffle salutaire en replongeant ses racines dans les courant musicaux qui ont contribué à son explosion au début des années 1980.

       

Super Biton de Ségou – Afro-jazz du Mali (Bolibana – 1986)

Né de la fusion du Ségou Jazz, de l’Alliance du Jazz et de l’Orchestre régional de Ségou, le Super Biton de Ségou est l’un des rares orchestres maliens des années 60 dont la réputation a dépassé les frontières du pays.

Plongeant ses racines dans la tradition bambara, le Super Biton s’inscrit dans la longue lignée des orchestres régionaux africains qui ont explosé dans les années 60 et 70. A l’exemple du Congo, ces orchestres se livraient une concurrence acharnée, mais loyale, afin d’obtenir le très convoité prix de meilleur orchestre national.

En remportant à quatre reprises le premier prix du concours d’orchestres à la Biennale de Bamako, le Super Biton s’est distingué des rythmes malinké classiques par une puissance rythmique étonnante. Doté d’une section de cuivres exceptionnelles, alliée à des chants bambara traditionnels, il évoque les préoccupations quotidiennes des Maliens : rejet des différences entre les coépouses d’un mari polygame, critiques envers les hommes et les femmes compléxées qui décolorent leur peau, hommage appuyé à la « Représentation commerciale et industrielle du Mali » (RECOMA), société qui contribue au développement du pays, etc…

Après plusieurs tournées européennes et régionales, ce qui lui vaudra notamment un article dans le journal « Le Monde », le Super Biton de Ségou se sépare au milieu des années 80. Certains de ses membres ont poursuivi depuis une carrière solo, à l’exemple du guitariste Mama Sissoko et du chanteur Mamadou Doumbia.

Dr. Alimantado : the “Best dressed chicken in town”…

Des histoires incroyables dans le reggae, il y en a des milliers…Des histoires de producteurs ancien flic qui menaçait ses artistes avec un flingue quand les répétitions se passaient pas comme il le voulait…Des artistes qui enregistraient en une session de quelques heures des albums gravés dans le marbre de l’histoire du reggae…

Mais celle de Dr. Alimantado est sûrement l’une des plus originales.

Né James Winston Thompson en 1952, à Kingstown, il grandit dans les rues du ghetto. Attiré par les idéaux rastas, il se laisse pousser des dreadlocks et commence à toaster en écoutant des titres de U-Roy. Lee « Stratch » Perry est le premier à lui donner sa chance, comme choriste tout d’abord, puis comme chanteur à part entière sous le pseudo de Winston Prince.

En 1973, il monte son propre label, ce qui était extrêmement rare à une époque où seuls quelques producteurs expérimentés monopolisait toute la scène reggae. En 1974 sort son album culte « Best dressed chicken in town »…Quel titre quand même ! Succès correct en Jamaïque, mais surtout un énorme succès en Angleterre où il devient l’artiste underground qu’il faut avoir écouté…

En 1976, sa vie bascule. Rentrant d’une baignade en mer, et remontant les rues du ghetto, un bus fonce sur lui et le percute…Gravement blessé aux jambes, sa remise en cause est totale. Il enregistre alors l’un de ses titres ultimes, « Born for a purpose ». Il y raconte que le chauffeur de bus l’avait volontairement visé, en raison de ses dreadlocks…Il y chante, avec une émotion intense « If you feel that you have no reason for living, Don’t determine my life. »

Récupéré par le mouvement punk naissant, il poursuivit une partie de sa carrière en Angleterre, sous la protection de Johnny Rotten des Sex Pistols. A ce titre, Dr. Alimantado est l’un des rares artistes reggae à avoir incarné une image quasi parfaite du cross-over entre jamaïque et europe et à avoir été à l’affut des sons rebelles de l’époque.

Jimmy Castor Bunch, ou le groove de Captain Cavern

Que dire de plus quand la photo du personnage en dit déjà autant ? Peut être que Jimmy Castor et son « Bunch » ont été les dynamiteurs du funk dans les 70’s. Qu’ils ont révolutionné un genre et l’ont expédié dans une autre dimension, à mi-chemin de la soul, du funk de la disco et du grand n’importe quoi…

Tout avait pourtant commencé de manière classique. Jimmy Castor débute sa carrière à la fin des 50’s comme chanteur dans divers groupes de doo wop (Wing with the Juniors, The Teenagers…), puis s’exerce dans les 60’s au saxophone dans des groupes soul et latin-jazz. Jusque là, tout va bien…

Mais en 1972, lorsqu’il se décide à former le Jimmy Castor Bunch, il crée une véritable légende aussi délirante qu’ingénieuse. Cette folie collective se concrétisera par les albums « It’s just begun », « Phase two », « The everything man »…Inventant les personnages du « Troglodyte (cave man) », de Luther l’Anthropoïde qui danse le funk dans sa caverne équipée d’un système hi-fi, traquant la donzelle du crétacé (« Bertha Butt Boogie ») sur les dance floor préhistoriques, Jimmy Castor propulse le funk dans la stratosphère.

Cette aventure marquera à tout jamais sa carrière, qui sera ancrée, tout au long des 70’s, aux toutes premières places des charts . Moitié chantés, moitié parlés/hurlés/éructés, ces titres font la part belle aux rythmes latins ainsi qu’aux clins d’oeil respectueux (avec notamment une reprise de Hendrix sur l’album « Phase two »). Abandonnant le Bunch en 1976, Jimmy Castor se consacre alors à une carrière solo puis lance son propre label dans les 80’s, Long Distance.

Respecté comme une des figures marquantes de la musique afro-américaine moderne, il a largement été samplé par le hip-hop. A l’instar d’un personnage comme George Clinton, Jimmy Castor est l’un des rares artistes américains a avoir façonné une nouvelle forme de funk tout en ayant un pied dans les nouveaux courants musicaux qui naissaient à cette époque. C’est le privilège des visionnaires.

Aux dernières nouvelles, il tournait encore aux Etats Unis et préparait un nouvel album. Parions qu’il le testera avant sur le dance-floor de sa caverne…

 

Clement “Coxsone” Dodd est mort…

Le fondateur du mythique studio et label jamaïcain Studio One s’est éteint le 5 mai dernier à l’âge de 72 ans.

Il aurait été victime d’une crise cardiaque alors même qu’il travaillait dans son studio avec l’ex-leader des Chosen Few, Bunny Brown, et Jennifer Lara.

Ironie du sort, ce tragique accident est intervenu quatre jours seulement après que les autorités de Kington aient décidé de renommer la rue Brentford Road, où était situé son studio, en Studio One Boulevard.

C’est une immense perte pour la musique jamaïcaine. Même si certains artistes qui sont passés dans son studio depuis 40 ans se sont plaint de problèmes financiers avec Coxsone, il est indéniable qu’il a été la pierre angulaire de tous les sons qui ont parcouru la Jamaïque, puis le monde entier : calypso, ska, rock steady, reggae, dub…

Vétéran d’une époque fondatrice, Coxsone restera sans nul doute comme le producteur qui amorça les carrières les plus prestigieuses : Bob Marley, Peter Tosh, Ken Boothe, Jackie Mittoo, Alton Ellis…

Homme de l’ombre, homme d’argent, homme de génie, c’est un peu tout cela à la fois…Il nous manque déjà à tous….

Plus d’infos : article du Jamaican Observer et du Jamaica Gleaner